vendredi 30 mars 2018

Une petite étude de Corot atteint dix fois son estimation basse !


Identification et datation : Un ami de Corot dans son lit.

Abel Osmond dans son lit (détail). © GW


C’est un évènement qui est passé inaperçu le lundi 26 mars dernier chez Maître Aguttes (SVV Aguttes, Paris, Drouot, salle 5, n° 31). Une très belle, forte et petite étude de Corot a été adjugée dix fois au-dessus de son estimation basse, soit 71 500 €, enchère modeste il est vrai pour un Corot de cette qualité.
Sa rareté, l’intimité amicale, presque familiale, de Corot qu’elle révèle et l’émotion que portent ces quelques touches rapides de couleurs expliquent très certainement ce beau résultat. Il faut aussi ajouter une grande qualité picturale, la valeur documentaire et l’excellent état de conservation.

Abel Osmond dans son lit : la mention manuscrite au revers. © GW
Robaut a vu cette petite étude dans la seconde moitié du XIXe siècle, lorsqu’il préparait son catalogue raisonné, terminé par Etienne Moreau-Nélaton en 1905. Curieusement, il n’identifie pas le malade qui est pourtant l’un des très proches amis de Corot. Le premier peut-être avant Constant Dutilleux qui n’apparaît dans la vie et l’œuvre du paysagiste qu’en 1847.
Il est pour cette raison fort probable que la mention manuscrite portée sur la traverse supérieure du châssis soit postérieure au calque qu’il prit sur l’étude et qui illustre le catalogue de 1905. Robaut aurait certainement fait usage de cette information en donnant un titre moins vague à l’œuvre et n’aurait pas commis l’erreur de datation que nous constatons. En effet, Abel Osmond, le très cher ami de Corot, né en 1794, est décédé le 23 juillet 1840.
Le manque de précision dans le titre de l’étude interroge aussi sur la connaissance que Robaut pouvait avoir de l’amitié qui liait Abel Osmond à Corot. L’un des trois frères d’Abel (probablement Ferdinand), ne laisse pourtant aucun doute quant à l’identité du modèle : « Portrait de mon frère Abel étant malade, peint par son ami Corot ».

Abel Osmond dans son lit : détail de la tête du lit. ©GW

La santé fragile d'Abel est connue depuis le premier voyage en Italie (1825-1828). Corot en fait état dans sa correspondance avec son ami. Plusieurs épisodes de la maladie sont connus. Sommes-nous pour autant devant une étude peinte en 1840 ? Cela est probable pour deux raisons. La première est la datation proposée par Robaut. Certes elle est trop large, mais elle indique la période à laquelle Robaut la rattache, avec justesse, par le style. Pour notre part, nous y voyons une communauté de touche et de palette avec Marietta, peinte en Italie en 1843 (Paris, Musée du Petit Palais, 29,3 x 44,2 cm). Les deux études présentent des coups de brosse large, rapide, posés par grands aplats, dans un camaïeu de tons présentant des similitudes.  Dans le cas d’Abel, il est relevé par le rouge du bonnet et le visage. Les bois du lit sont travaillés dans un très beau et fin relief, tandis que la retombée du ciel de lit semble sculptée dans la matière. Corot ne recourt pas fréquemment à cette façon de faire, même dans ses études.
Abel Osmond dans son lit : détail de la retombée droite du ciel de lit et de la partie droite de la tête de lit. ©GW
Quelques traits tout simples mettent en place un visage à peine esquissé et pourtant d’une grande présence. Ce faisant Corot parvient en quelques traits à évoquer la profondeur de l’âme de son ami, les sentiments forts qui l’animent et cette absence d’espoir quant à son état, auquel il semble résolu. Cette étude souligne une fois encore le talent de portraitiste de Corot, qu’il a pourtant peu développé et transporté vers la « Figure » dont il est le grand maître du XIXe siècle à l’instar de Fragonard au siècle précédent.

L’étude est en très bon état. Elle ne présente que trois toutes petites pertes de matière et deux retouches dans le visage que montre bien la fluorescence d’ultraviolets[1].
Abel Osmond dans son lit : fluorescence d’’ultraviolets en noir et blanc. ©GW

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Huile sur papier, marouflée sur toile, 14,5 x 20 cm.
Robaut 396.
1840 (juillet ?).
Inscription au revers, sur la traverse supérieure du châssis : « Portrait de mon frère Abel étant malade, peint par son ami Corot ».

Bibliographie
Vente Peintre d’Asie, XIXe siècle, Impressionnistes & Modernes, tableaux russes, SVV Aguttes, Paris, Drouot, salle 5, 26 mars 2018, n° 31.
Walter (R.), Corot à Mantes, Paris, 1997, p. 98-99, ill.
Robaut (Alfred), Etienne Moreau-Nélaton, L'œuvre de Corot, catalogue raisonné et illustré, précédé de l'histoire de Corot et de ses œuvres, Paris, 1905, vol. 2, p. 142, n° 396 (ill.).

Provenance
Corot, jusqu’à sa mort le 22/02/1875 [2] – Famille Osmond – Descendance Osmond jusqu’à la vente du 26 mars 2018.



[1] Je remercie infiniment Madame Charlotte Reynier-Aguttes d’avoir pris le temps lors de l’exposition du 24 mars 2018 de m’avoir montré en détail l’étude et d’avoir pratiqué une fluorescence d’ultraviolets. Une radiographie et une réflectographie dans l’infrarouge seraient très intéressantes.
[2] R. Walter, 1991, p. 99.

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