vendredi 23 septembre 2016

Le bilan de Michel Draguet : pas si simple !


Bruxelles, Métro Mérode, Roger Raveel (1921-2013).

L’avenir des musées royaux bruxellois fait l’objet d’une bataille politico-médiatique depuis quelques semaines. Une fois encore, les enjeux que représentent les musées sont largement relégués au second plan.
Pendant ce temps, musées, personnels scientifique, administratif et technique continuent à donner le maximum de ce qu’ils peuvent, tandis que les bâtiments, tout aussi à bout, se déglinguent depuis longtemps. Les collections pour leur part souffrent, sans pouvoir le manifester. Leur silence n’est pas près d’être entendu.
Tout a été dit sur les arguments avancés. Il ne reste plus qu’à compter les points et espérer que les principaux intéressés finissent un jour par réagir avant qu’il ne soit trop tard. Un curieux sentiment de déjà-vu.

Il est à présent question du bilan de Michel Draguet, Directeur Général des Musées Royaux des Beaux-Ars, mis à mal par la Secrétaire d’Etat en charge des établissements scientifiques fédéraux.


L’article des 3 et 4 septembre derniers paru dans La Libre Belgique, donne le ton dès le titre : «Qu’on évalue correctement mon travail pas simplement en lançant des fatwas».
Curieuse idée de comparer la destinée d’un directeur général à celle d’un auteur bien connu qui vit dans la clandestinité depuis 1989 et risque sa vie tous les jours. Curieuse idée aussi d’employer un mot qui résonne fortement après le 11 septembre, le 13 novembre, le 22 mars, le 14 juillet et le 26 juillet, pour limiter les exemples à des dates qui nous touchent de près. Il en existe d’aussi terribles, sinon davantage, au Moyen Orient, en Afrique, en Asie…

Une chose est assurée faire le bilan de l’actuel Directeur général des Beaux-Arts ne sera pas simple.
Le lecteur familier de ce blog s’est probablement étranglé en lisant cette phrase. Il sait pourtant combien j’ai ferraillé contre les idées curieuses élevées au rang de mode de gestion muséale, soutenues à l’époque par la tutelle administrative et politique (à l’exception de Philippe Courard, ex Secrétaire d’Etat en charge de la Politique Scientifique qui mit fin aux «Pôles» en février 2014). Attention, je souligne, une fois encore, que je me pose contre les idées, non contre l’homme que je ne connais pas personnellement (en dehors de deux courts échanges d’email, il y a quatre ans et en juillet dernier). Tout comme je m’oppose au démantèlement imaginé par l’actuelle Secrétaire d’Etat, bien qu’elle s’en défende. Malencontreusement, nous attendons encore le projet annoncé en janvier 2015. Nous sommes bien obligés de juger à partir des actes, aucun ne va dans le sens de la pérennité, ni d’une gestion moderne des musées.
Voici presque deux ans que la nouvelle majorité est en place et il faut bien constater que rien n’a bougé, que les musées royaux bruxellois vont moins bien, que leur avenir est encore plus incertain. Plus grave, et signes des intentions réelles : le Musée Royal de l’Armée est à présent touché par les mêmes symptômes alarmants.

Ce même lecteur se souvient de l’impressionnante liste d’erreurs de gestion, des articles nombreux rédigés comme autant de bouées jetées à la mer ou de fusées d’alerte tirées depuis une île déserte (le plus lu ICI). Certes, le musée des Beaux-Arts de Bruxelles (et celui du Cinquantenaire, plusieurs années sous la même direction générale) se porteraient beaucoup mieux si tant d’énergie, de temps et d’argent n’avaient pas été perdus dans des chimères. Cependant, on ne peut tout mettre sur le compte de Michel Draguet, ce serait trop facile et parfaitement injuste.
Il n’a pas tout raté, mais surtout, cela fait bientôt 30 ans que le pouvoir politique s’est désintéressé de ces musées, comme de tout le reste, préférant la stérile lutte communautaire et les «réformes de l’Etat», qui toutes détricotent l’existant, au profit d’une complexité paralysante. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le mammouth politico-administratif né de « tout ce brol », ainsi que la lente, progressive et générale tunnelisation de la Belgique, et de Bruxelles en particulier. Bâtiments, financement et personnel des musées royaux bruxellois sont oubliés depuis la seconde moitié des années 80.

Madame Sleurs peut donc reprocher tout ce qu’elle veut à Michel Draguet, les tenants d’un mode de gestion qui a fait ses preuves dans le monde entier, dont je suis, également, mais nous devons nous poser avec honnêteté une question de fond : qu’aurait pu faire un directeur ayant consacré tout son temps à son musée avec des moyens matériels, administratifs, humains, financiers aussi peu en phase avec les besoins depuis aussi longtemps et encore réduits par l’actuel Gouvernement ? Le tout baignant dans une incompréhension politique feinte, souvent réelle, et une incapacité à s’entendre avec les autres niveaux de pouvoir.
Un seul va réussir dans très peu de temps à moderniser son Musée, mais il y a plus de dix ans qu’il y travaille avec finesse, diplomatie, ténacité et une grande capacité à emporter la conviction des décideurs politiques. Certains diront qu’il est situé du bon côté de la frontière linguistique. Certes, mais le même travail aurait pu être tenté de l’autre côté. Le monde politique y est beaucoup plus hermétique, mais était-ce véritablement impossible en douze ans de mandat ?
Détail amusant : avez-vous observé la photographie illustrant le dernier article de La Libre ? Poser à côté d’un Stacks rouge, sur fond bleu, ne doit pas être sans signification, lorsque l’on connaît un tout petit peu l’art de Donald Judd et le goût pour le symbolisme cher à Michel Draguet.
Les trois dimensions sont l'espace réel. Cela élimine le problème de l'illusionnisme et de l'espace littéral, de l'espace qui entoure ou est contenu dans les signes et les couleurs - ce qui veut dire qu'on est débarrassé de l'un des vestiges les plus marquants, et les plus critiquables, légués par l'art européen.

Donald Judd, Specifc objects, dans Arts Yearbooks, 8, 1965.

Autre élément d’interprétation ou de compréhension de cette photographie que je vous livre sans analyse : la plupart des Stacks ne sont pas conçus et montés par Judd, lui-même.


La préface de Philippe Geluck intitulée Juste avant qu’il ne soit trop tard, publiée en 2013 dans Comment devenir belge en 10 leçons, de Gil Dal, m’inspire en partie ma postface-épilogue : je n’ai aucun regret de ce temps passé à batailler contre une déconstruction finissante d’un univers qui m’a tellement apporté. C’est idiot, je suis même heureux de cette série d’articles inutiles, ou presque. Rétrospectivement, ils me donnent la curieuse impression d’assister à la publication de la Déclaration des Droits de l’Homme au lendemain de l’Apocalypse. Il m’en reste une vague impression de parfum du sentiment du devoir accompli en défendant l’indéfendable, qui ne me déplaît pas.

Mots inutiles, sans plus aucune signification ! Cependant, il n’y a rien à regretter. Personne ne pourra dire, lorsqu’il sera trop tard : « Oui mais non, je ne savais pas ! ». Et de toutes façons, visiblement : « tout le monde se fout des musées royaux bruxellois ». Ce ne sont pas les 46 000 pages vues depuis le début de ce blog, presque entièrement consacré à ces malheureux, qui suffiront à prétendre le contraire.

1 commentaire:

  1. Denis Coekelberghs nous fait parvenir le commentaire suivant : Le désastre n’est pas dû au seul Draguet. Le sort veut que celui-ci soit arrivé au plus mauvais moment avec ses délires et son mépris pour une grande partie des collections dont il avait la garde. Son interview dans la Libre (pas avec Duplat au fait !) était une fois de plus d’une totale mauvaise foi. Et bien entendu le journaliste de service ne l’a pas relevé. Sans doute n’en a-t-il même pas conscience. Quant à Madame Sleurs, je ne sais vraiment qu’en penser sauf qu’elle est décevante. Et puis, avec le NVA il faut bien dire qu’il y a de quoi se méfier, a priori. Ce n’est pas de ça non plus qu’il fallait maintenant. Quelle accumulation de mauvaises personnes au mauvais moment. Ne parlons pas du projet dit “Citroën”...

    RépondreSupprimer